Allaiter est un vrai bonheur. Dans mes bras, enfin il s’apaise en prenant le sein. Parfois, un simple signal d’agitation, un peu plus de frénésie dans sa façon de sucer son poing et ses doigts, parfois une énorme colère qui éclate quand on a abusé de sa patience, quand, retardée par d’autres tâches, j’arrive tardivement, tout ces parfois conditionnent ce moment si important pour le bébé comme pour moi.
Il prendra calmement le sein quand, attentive à sa demande, nous réussissons un superbe duo, harmonieux et sans heurt. Il prendra le sein de façon vorace quand, affamé, esseulé, désespéré, il aura crier sa rage autant que sa colère. Il ne pourra pas se satisfaire du sein, trop contrarié. Il continuera ses pleurs et je serai bien culpabilisée. Il faut alors se taire, ne rien faire, car toute tentative sera perçue comme une agression, le genre de sollicitation qui hérisse le poil quand il n’est plus temps. Il faut alors apprendre à s’apaiser ensemble, se poser ensemble, écouter, attendre...
Attendre que l’esprit du bébé se libère de sa rage et s’intéresse à autre chose. Attendre le pardon qui permet le retour du bébé à des sentiments moins belliqueux. Attendre qu’il reprenne le sein, et, acceptant de s’abandonner dans mes bras, sa succion devient voluptée, abandon confiant, mollesse du corps qui se moule dans les bras contre mon ventre, la bouche est douce et détendue, les yeux mi-clos le bras libre s’élève et tient l’équilibre à la vertcal, les doigts bougent tout doucement ou simplement sont immobiles révélant toute l’attention dans laquelle le bébé s’absorbe en tétant lentement, sereinement.
Cette main levée est comme un radar qui prévient des éventuelles intrusions pendant ce moment de pur bonheur. Il caresse parfois la main que j’avance vers sa main et je le laisse explorer du bout des doigts cette cousine qui lui ressemble étrangement. Une main est une source de curiosité sans limites tant il découvre sans cesse des mouvements, des perspectives comme rapprocher jusqu’à sa bouche ce qui est lointain, rejeter ce qu’il refuse de voir approcher, se frotter les yeux quand il est fatigué, tendre vers quelque chose ou quelqu’un pour en apprécier la réalité, caresser, saisir et secouer énergiquement, agripper, sentir...
La main part à la découverte du monde et apporte une richesse d’informations tactiles, un nombre de plus en plus grand de compétences qui lui permettent de développer sa curiosité, une source d’émerveillement digne des plus grands contes, un “outil” étonnamment disponible, toujours là, des mains et des doigts délicieux, habiles, compagnons des réveils.
J’ai approché tout doucement ma bouche de ses doigts suspendus au bout de son bras relevé, juste pour les effleurer comme pour une caresse. A-t-il eu peur d’une agression ? Peut-être ai-je réveillé l’angoisse d’être dévoré ? Sa lèvre inférieur s’est retroussée, boudeuse, toute sa figure s’est fermée, les sourcils froncés, les yeux inquiets il a commencé à pleurer très fort, comme ça, d’un coup. Je le plaignais d’un petit “oh” traînant et désolé. Il a cessé et repris son activité de succion déjà plus du tout inquiet.